mercredi 27 octobre 2010

Ouvrez les yeux !



    
         Dans moins d'une semaine les Brésiliens vont devoir choisir leur président et voter soit pour l'anticharismatique Dilma Rousseff , "créature" de Lula, soit pour l'anticharismatique José Serra , "créature" de Fernando Henrique Cardoso. Si l'on doit résumer il n'y a pas eu de renouveau , c'est ennuyeux à mourir et ça n'augure rien de bon .
Sans croissance économique le bilan de Lula serait mauvais. Tout le monde connait les beaux résultats de la "bolsa familia", la réduction spectaculaire de la dette et l'accès de pauvres à la classe moyenne mais c'est autre part que les choses se jouent. Malheureusement le Brésil est toujours au bord du gouffre , un peu plus loin qu'il y a dix ans mais il n'est pas loin d'y tomber tout de même.

 Il suffit de penser que les gosses auxquels Lucas et moi donnons des cours n'ont affaire à l'Etat qu'en cas d'intervention de la police militaire et à l'école où le professeur ( représentant de l'Etat) est bien plus animateur que source de connaissances. Alors que fait l'Etat brésilien?
Certains disent qu'il se goinfre , d'autres qu'il glande ; j'ai l'impression qu'il ferme les yeux et ne les ouvre qu'avant de rentrer dans le mur. L'Etat et les Brésiliens ferment les yeux parce que le blanc veut rester riche et le noir/le métisse est passif. L'ensemble de la société se complaît dans les mythes de "la terre d'avenir" et de la "démocratie raciale".
 
Le nouveau film à succès , Tropa de Elite 2 , oblige les citoyens à regarder pendant deux heures la réalité en face, de retirer leurs oeillères. Le film balaye tout : les miliciens soutenus par les politiciens qui contrôlent les favelas de la zone Ouest de Rio , les tueries dans la prison de haute sécurité de Bangu I , la collusion médias/ politiques ou encore l'extrême violence de la police. Tout le monde le voit ( 4 millions d'entrée en deux jours !) mais ça en reste là. Pour vous dire , le gouverneur de Rio de Janeiro, Sergio Cabral, directement visé dans le film vient d'être réélu avec 65 % des voix !
      J'ai l'impression d'une démocratie à la carte , d'une apathie citoyenne ; "pourquoi crier? Rien de va changer". C'est sur que si les Brésiliens ne bougent pas rien ne changera. Le noir restera pauvre et discriminé , l'Etat continuera à être corrompu , les plus pauvres vivront dans des zones ultraviolentes et le Brésil restera un éternel espoir.
Lula (et les autres ) ont beau se déplacer à droite à gauche , demander un siège au conseil de sécurité de l'ONU et faire des courbettes de Téhéran à Jakarta; le Brésil ne sera pas respecté tant qu'il ne se respectera pas lui-même.
 


De la musique contre mon péssimisme :
 


Chico da Silva - E preciso muito amor    Kero One - When the sunshine comes









lundi 18 octobre 2010

Favela rising


Mon pote, l'article sur Lapa attendra.


Je viens de finir le livre d'une de mes profs qui s'intitule « Gringo no Laje ». Le laje est la partie plate qui sert de toit aux maisons des favelas, ou plutôt aux constructions qui servent de maison. C'est un véritable espace de vie, et les tours dans les favelas s'y finissent généralement pour qu'on puisse admirer la vue.
J'ai l'impression de ne parler que de ça mais les « communautés » comme il faut les appeler ici (ce n'est pas du politiquement correct mais les habitants des favelas, les « moradores » les appellent comme ça, et à raison) me fascinent. Je suis arrivé au Brésil avec une conception toute faite du tourisme dans les favelas : du voyeurisme pour des abrutis qui restent bien derrière leurs vitres teintées à prendre des photos comme si ils étaient au zoo. Mon idée était de ne pas rentrer dans une favela si je n'avais pas une bonne raison pour le faire. Le fait de donner des cours de théâtre avec une ONG m'a donc fait voir de plus près ce que c'était, même si ça reste du tourisme solidaire, bref, moralement condamnable, je me donne une bonne conscience, tout ça. On m'avait dit que l'entrée dans une favela provoquait un choc ; la favela dans laquelle nous donnons des cours avec Laurent, qui s'appelle Vidigal, est une favela de la zone sud, juste derrière le quartier le plus riche de Rio (Leblon), et c'est celle qu'on voit sur les photos de la plage d'Ipanema, elle est au fond. De là-bas la vue est tout simplement magnifique. Elle est plutôt paisible en fait, il y a eu une guerre de gangs assez sanglante il y a un an mais depuis elle s'est calmée. Elle ne fait pas (encore) partie de ces favelas qui ont été prises par la police (les UPP), elle reste donc aux mains des trafiquants. Bref, je n'ai pas réellement eu de choc, je n'ai pas pleuré devant la pauvreté comme le mettent en avant -selon moi- les tours des agences. J'ai bien vu des mecs avec des armes tellement grandes qu'on aurait dit des jouets, mais l'impression que j'ai eu est que j'étais dans une autre ville ou pays, une ville à part entière, qui fonctionnait toute seule -magasins, dentistes, école- et qui était complètement hors de Rio, non-intégrée. C'est là que le terme de « communauté » prend tout son sens. En parlant avec des habitants, ils m'ont tous dits que c'était leur communauté, que jamais ils ne s'en iraient, que c'était chez eux. Pour imager un peu les choses : on arrive en bas de la favela, et tout de suite des 'moto-taxis' nous sautent dessus pour nous emmener en haut. Le voyage est plutôt sympa, pas trop rapide à cause des ralentisseurs (oui, il y a des ralentisseurs) et plutôt sinueux. Personne ne vous remarque ou ne s'étonne de votre présence. On arrive en haut, dans une sorte de stade où tous les enfants se réunissent pour jouer au foot ou lancer leurs cerfs-volants. Les cours se passent super biens, ils sont très agités mais aussi super motivés - ce sera pour un autre post. On redescend en général à pied, où l'ont peut d'avantage faire attention à tous les commerces, et au fait que tout le monde vit dans la rue, les maisons sont toujours ouvertes. Et on se sent en sécurité en fait, tu te dis vraiment qu'il y a beaucoup plus de chances de te faire voler à Copacabana qu'ici.
Pour revenir au livre, j'avais donc cette impression sur les tours dans les favelas. Le livre met en avant à la fois les raisons qui font venir le touriste, et ce qu'en pensent les habitants. Mon impression est toujours la même : les touristes affirment qu'ils viennent là pour sortir des sentiers battus, pour voir le vrai Rio, etc. Pour moi, c'est de l'hypocrisie, ils viennent pour voir ce que c'est qu'un pauvre, pour voir la violence, et ils seraient même bien contents de raconter qu'un échange de tirs s'est fait devant leurs yeux. Ils viennent pour se sentir mal – et, à terme, se dire qu'on a de la chance de pas être comme ça quand même. Bien sûr c'est une généralisation, tous ne sont pas comme ça, sûrement pas beaucoup même, mais c'est ce que m'inspire l'idée d'un "tour". C'est aussi amusant de voir comme ils pensent que leur venue va aider la communauté parce qu'ils ont acheté un coca dans ce bar, ou parce qu'ils pensent que l'agence donne de l'argent à la communauté. Ce n'est que très rarement le cas, et la majorité des moradores pensent même que le tour est gratuit, ou peu cher, ce qui prouve bien qu'ils ne voient pas la couleur des billets verts.
Ce qui est intéressant c'est d'avoir le point de vue des moradores : la présence des touristes ne les dérange pas (83% pensent que la présence des touristes est positive!), ils sont même contents de les voir, puisque cela met en avant le caractère spécial de leur communauté. Toutefois, tous affirment que s'ils faisaient visiter leur favela, ils montreraient ce qui y est fait de bien : les ONGs, les centres culturels... et pas ce qu'il y a de plus pauvre. Or, l'étude montre bien que c'est ce que sont venus voir les touristes, que c'est ce qu'ils prennent en photo. Ils viennent voir l'authentique, ils prennent en photo des poubelles, ou des intérieurs de maison. Je me rappelle d'un commentaire de Zelda qui disait, étonnée, « Mais ce ne sont pas des bidonvilles, tout est vraiment bien construit ». Les moradores veulent justement montrer que leur favela ce n'est pas ce qui est montré dans les journaux, ce n'est pas que la violence, ce n'est pas que la pauvreté. En ce sens, c'est positif, car les touristes, en visitant une favela, notent que ce n'est pas que « ça ». Quand ils en parleront, ils transmettront cette idée qui permettra de casser un peu le cliché. Mais de là à parler d'authentique, je ne sais pas, et d'ailleurs aucun brésilien ne fait les tours organisés par les agences.
Pour moi, le problème posé par ces tours relève de la définition même de la favela : est-ce un problème ou du patrimoine national? La naissance des favelas vient du fait qu'il était trop cher de louer des habitations près du centre ouvrier pour les gens pauvres, qui sont donc montés sur les montagnes où les riches ne voulaient pas aller. C'est donc un problème, la présence des trafiquants aussi est un problème. C'est un problème qui devrait être résolu, et non pas valorisé. Mais le dilemme reste présent parce que la culture qui rejaillit de ces communautés est exceptionnelle, le sentiment d'appartenance est quelque chose de beau, finalement. Les tours mettent en avant la culture locale, ce monde qui a été marginalisé et qui construit son identité propre. Or, le fait de développer ce genre de tours ne va pas dans le sens, à terme, d'une disparition des favelas puisqu'elle met en avant la culture d'ici et se fait du fric dessus. Ce n'est pas dans son intérêt que les favelas disparaissent.
La définition de la favela est devenue trop large, entre pauvreté, communauté, délinquance et culture marginale, pour que j'arrive à juger si les tours sont quelque chose de positif ou non. Au final, les touristes n'apportent rien de mauvais. J'aimerais simplement savoir quelle est la définition de la favela telle que conçue par les guides de tourisme, car ça m'étonnerait qu'on ait la même.
Supers musiques de deux chanteurs des 60's qui parlent de favela :

dimanche 17 octobre 2010

Rio deux visages


"Caroline! Caroline!
All the guys would say she's mighty fine
But mighty fine only got you somewhere half the time"


Je suis rentré chez moi en courant à 6h30, lever du jour. Je laissais derrière moi boite à 60 reais, mini jupes et bouteilles de champagne. J'ai couru pour le principe.
En arrivant dans mon salon, je savais qu'il serait là, assis sur mon canapé qui tombe en lambeaux de cuir. Je suis tout dégoulinant de sueur et il me dévisage à peine, il me regarde. Encore dans le brouillard de la nuit, je sors de la brume du matin pour comprendre qu'il est vraiment là. "Bonjour Fabricio".
Fabricio est un gamin que j'ai rencontré il y a peu, no Morro do Vidigal. Le genre mini-caïd, hyperactif, voiture jaune en plastique qui fonce dans les murs. Il s'est révélé plutôt doué en théâtre.

"
- Tu veux faire quoi plus tard? Acteur?
- Ah non! On m'a dit que les acteurs ils sont obligés de se déguiser en fille et je veux
pas.
- Mais au carnaval tout le monde se déguise en fille, non?
- Mais non, il y a juste les gays! T'es gay toi?
- Euh, non.
(Se tournant vers Laurent) - Et toi t'es gay?
"

Tous les deux on ne sait pas vraiment pourquoi on est en train de discuter dans mon salon. Je lui raconte mon week-end, ma soirée, les clichés européens, les riches brésiliens, l'impression désagréable des cris d'une foule sur une musique de Lady Gaga, les quatre voitures remplis de gringos qui rentrent dans une favela pour le fun (
histoire vraie, j'ai du gueuler sur Laurent pour pas qu'il ne frappe un norvégien insconscient qui nous a fait visiter la favela dans un sens puis dans l'autre). Je lui raconte qu'on a quitté une ville coloniale pleine de richesses pour se retrouver dans une boite où les gens s'ennuient globalement. Il ne m'écoute pas vraiment, il est déjà un peu parti.

"
- T'as des frères et soeurs?
- Oui, une soeur de 22 ans qui est à l'école, et deux frères, 17 et 19 ans.
- Ils sont à l'école aussi?
- Euh...
"

Il s'efface dans une dernière réponse un peu floue. J'ai à peine le temps de tourner la tête qu'il n'est plus là, mais je ne suis pas seul. Assise à sa place une jeune femme, 18 ans, robe noire, courte, des traces de maquillage et des restes de rouge à lèvre. Je ne connais pas son nom, je l'ai simplement entrevue la nuit dernière. "J'adore les français", qu'elle m'avait dit. Elle habite à Leblon, vue sur la mer, elle était rentrée en taxi, avec un français. Elle me regarde.


"- Qu'est-ce que tu fais là?
- C'était sympa cette soirée, tu trouves pas? J'ai adoré la boite."

Notre conversation est faite de banalités. Elle me raconte comme son projet est de reprendre la boite de son père, qui a 28 filiales dans tout le Brésil. Elle me parle de ses soirées à Barra da Tijuca - le Miami brésilien- de ses discothèques, de sa limousine, de son condomiminium. Ca doit être super agréable de vivre dans une gated community, j'en avais visité une qui avait un combo piscine-terraindefoot-supermarché-grilles à l'entrée où tout est fait pour que tu ne sortes pas et où les seules personnes de couleur sont les portiers. Elle me parle de son Brésil, de paillettes dégoûtantes, de son Rio qui ne sort pas d'Ipanema, de sa peur de rentrer en bus parce que c'est dangereux, si t'avais pris le bus une fois dans ta vie tu verrais qu'en fait y a juste des gens qui dorment, un mec qui te fait passer par un tourniquet et des secousses, beaucoup de secousses, qui font que ta ballade n'est pas si différente que dans les bus européens. Le taxi c'est sympa aussi, j'arrive en général toujours à tenir une conversation quand j'entame celle-ci par un "tu supportes quel club ici toi?". Elle me parle de son Rio, de son absence de réalité, de son petit nuage avec vue, de loin, sur le Vidigal, cette favela esthétique où, au même moment, Fabricio se réveille.




mercredi 13 octobre 2010

Les deux pires jours de ma vie.

              Notre voyage était programmé : Rio de Janeiro -Teresopolis-Petropolis-Rio de Janeiro. Manque de place dans les auberges et nous voilà embarqués dans un « road trip » avec 15 Erasmus avec qui les premiers contacts avaient déjà été sans intérêt.
Le choix de la destination était Ouro Preto et les Minas Gerais afin de pouvoir profiter du calme des montagnes et de la force historique de la région.
Lucas , Léo et moi nous nous retrouvons avec l'ineffable norvégien dont le nom imprononçable doit probablement s'écrire comme ça : «  Trickvuen ». Ce nom de chanteur de punk islandais n'augurait rien de bon. Après que la copilote danoise a lâchement abandonné son ami nordique , par dévotion et aptitude à peu dormir je me retrouve devant, avec l'infâme barbu nordique.
Nous échangeons des banalités qui pourraient faire partie du livre : « les conversations les plus inutiles de l'histoire de l'humanité ». Ça a tout de même duré quatre ou cinq heures , certainement les plus longues de ma vie.
Après dix heures de route au lieu de six nous voilà arrivés dans la ville qui durant deux siècles a produit la moitié de l'or mondial. Il y a en plus des musées et des mines ,  vingt-trois églises considérées comme magnifiques à visiter. Et puis le soir la fête s'annonce folle car c'est la semaine de commémoration des quatre-cents confréries de la cité.
Lucas , Marin et moi rejoignons un ami brésilien et faisons le tour des fraternités qui nous ouvrent leur porte et leur frigo. La bière nous fait un bien fou et on n'oublie l'attitude enfantine des étrangers qui nous ont servi de conducteur. Un peu de répit après cette nuit et cette matinée où la pensée la moins violente que j'ai eu,   a été de siphonner les réservoirs d'essence pour qu'on puisse rester ici au milieu des montagnes.

Le lendemain la bande à « Trickvuen » a décidé que nous allions rouler toute la journée pour rejoindre Cabo Frio , station balnéaire fade, quelconque, sans intérêt à deux pas de Rio de Janeiro. Vous imaginez la chose : en deux jours nous avons fait l'équivalent d'un Lille-Bordeaux-Strasbourg. Ils ont dû sécher les cours de géographie !
Je vous passe les cris , les engueulades , les insultes et les soupirs qui ont marqué la fin du Week-end. Après une dernière bière pas fraiche sous la pluie au bord d'une lagune puante, nous repartons en bus vers Rio de Janeiro.
Une journée vide , insignifiante et nous voilà parés pour une soirée avec des brésiliennes qui selon les dires d'une amie adorent les français. Jackpot !
Après un nouveau raté dans le choix des transports , les bises s'échangent au milieu du salon avec vue sur la lagune. Première réaction animale : «  Elles sont bonnes et riches ».

Tous en chemises , toutes en talons et tous à attendre de pouvoir rentrer dans la boite. Il y a plus de monde qu'à un concert de Madonna! Collés à des « poufs » de 18 ans qui me disent qu'elles ont choisi les études d'administration « parce que les sciences sociales ça paye pas! » , je transpire et je commence à comprendre que je me suis encore fourré avec des cons.
Dans la boite nous sommes tous différemment semblables. Tous blancs , tous riches , tous cons. Bien sûr , certains ont mis une chemise rouge d'autres bleue , certaines ont enfilés des leggings d'autres des collants mais nous sommes parfaitement uniformisés , bridés , conditionnés.
Je me suis amusé ( le mot est fort !) un moment à compter le nombre d'hommes qui avaient une chemises à carreaux. Impossible ils étaient trop. Et que dire des cris de mouettes affamées toutes les deux chansons : «  Ah c'est ma chanson! ». Écoute un peu merde , c'est du Lady Caca ! C'est la chanson de tout le monde, sale pouffiasse !
Tous les mêmes , les mêmes goûts ,la même façon de danser, la même carte bleue gold.
C'était 75 reais , je n'étais même pas saoûl mais ivre de rage.
Je décide donc de rentrer à pied . Il est tard je marche vite la tête plein de pensées sanguinaires. Je zigzague entre les terrasses désormais vides et les camions de livraison ; et là à ma droite , à deux pas de chez moi, cette famille. Ils sont là par terre dans le coin d'un porche crasseux d'une des rues les plus riches de la ville. Trois enfants et leur mère croupissent là dans les déchets que nous avons jeté , au cours de la journée sans y porter attention. Nos rejetés agglutinés dans nos rejets.
J'ai frémi , ma gorge s'est noué à m'en faire mal , mes yeux se sont remplis de larmes que j'ai balayé d'un revers de manche. Je n'ai pas pleuré mais c'était trop. Je me suis arrêté là devant eux et ils dormaient sans se rendre compte de mon regard vide et plaintif.
L'espace d'une seconde j'ai pensé à dormir là avec eux. Depuis 3 jours je fréquentais ceux qui condamnaient ceux là et j'étais complètement misanthropique. Mais ces gens-là ne cachaient pas leur puanteur sous des montagnes de parfum , comme nous. Ils étaient dignes dans la douleur , dans la répugnance. J'ai pensé à me coller à ces enfants si frêles.
Et puis je suis parti.



Seu Jorge - Burguesinha                                               Milk, coffee and sugar - Alien

THE REVOLUTION WILL NOT BE TELEVISED


Aujourd'hui j'ai d'mandé à Papa ce que c'était qu'une révolution, et il m'a dit que je le découvrirais plus tard, et que si je le découvrais pas, c'est qu'il fallait que j'en fasse une moi-même. Moi j'ai dit que j'ai rien compris. Il m'a dit qu'à mon âge, on ne comprenait pas la politique. La politique c'est vrai que je sais pas vraiment ce que c'est. Mais en ce moment j'sens qu'il s'passe quelque chose, quand même. Surtout à la télé, tous les soirs on voit passer tout plein de mecs qui nous disent tous un numéro différent. Des fois j'essaie de zapper mais c'est comme ça sur toutes les chaines. C'est bizarre comme truc parce qu'à chaque fois ils disent la même chose, je suis contre la corruption, je suis pour l'éducation, votez 4239, votez 8245, et puis leur tête change toutes les 5 secondes. C'est pareil quand j'ai été me balader au centre ville avec mon copain Fabricio. Il y avait des énormes affiches tout le temps et des fois quand tu passes par la place centrale il y a des gens qui crient. Fabricio il vit dans une communauté, il m'a dit c'est comme ça qu'il faut l'appeler et pas favela. Il m'a dit que ce négocio des affiches c'était encore pire dans sa communauté. Il m'a dit qu'il y en a partout, encore plus. Il m'a dit que souvent des gens importants viennent et des fois il y en a qui lui donnent des casquettes, et une fois il y en a un qui a donné de l'argent ou un truc comme ça, il a pas bien compris lui non plus, mais du coup maintenant il faut voter pour lui parce que c'est le plus sympa. Moi on m'a dit que le plus sympa, c'était Tiririca, il est drôle et lui son passage à la télé il est pas comme tout le monde, au moins. J'ai pas retenu tout le monde mais il y en a un que j'ai trouvé bizarre, sur son affiche il y avait écrit 'militar e gay', moi j'ai demandé à papa ce que ça voulait dire et il m'a dit que c'était les hommes qui se déguisaient en femmes. Moi j'en ai vu plein au carnaval des comme ça. Je voudrais bien être acteur, ça se trouve on me demandera des trucs comme ça. Sinon au milieu de toutes les affiches des fois c'est dur de s'y retrouver.


Moi ça m'intéresse quand même, des fois je pique le journal de papa et j'essaie de lire beaucoup et de comprendre un peu. Mais bon, je comprends pas toujours, et puis les noms se ressemblent, PT, PSD, je sais pas quoi.. Je connais juste le plus important, c'est Lula. Lula tout le monde l'aime alors je me dis pourquoi pas moi. Sauf mon Papa, il l'aime pas trop. Je lui ai demandé pourquoi et il m'a dit que c'est parce qu'il payait des gens pour avoir des votes. J'ai pas compris encore une fois. Je crois pas qu'il ferait ça Lula. Et puis Papa dit qu'il a pas tenu ses promesses. Moi je trouve ça dur de dire ça quand même, c'est un peu exagéré, parce que lui il tient pas toujours ses promesses non plus. Papa m'a dit que lui était pour Plinio. Moi je le connais pas mais on m'a dit qu'il avait aucune chance de gagner alors je sais pas pourquoi Papa est pour lui. Quand j'ai demandé pourquoi on m'a dit que c'est parce qu'il disait des choses que les gens avaient pas envie d'entendre. Alors moi j'ai répondu que ce qu'ils disaient tous à la télé moi j'avais pas envie de l'entendre non plus mais que j'étais obligé. Et puis c'est pareil, dans la rue y a toujours des gens qui me donnent des tas de papiers avec des tas de numéros et des tas de photos ou y a des gens qui sourient. Moi j'en veux pas de leurs tickets mais ils ont l'air tellement tristes ceux qui me le donnent que je les prends et je fais une collection. Y en a même que j'ai en double maintenant. J'ai voulu lui échanger à Fabricio, contre sa casquette mais il a pas voulu. Fabricio il m'a dit qu'il s'en fichait de la politique alors pour pas qu'on se fâche j'ai dit que moi aussi de toute façon. Mais quand je rentre le soir j'allume quand même la télé, et je les regarde tous, et j'écoute mon père qui grogne contre un, puis l'autre, c'est un voleur, c'est un escroc, puis quand Lula passe à la télé il se tait et il fait la moue et puis il parle de révolution.

The Revolution will not be televised

Caetano Veloso - Parque industrial

Ah, ce bon vieux Jack

Ah, ce bon vieux Jack


- La première fois que j'ai vu Jack c'était en cours, je me souviens.

- Oui, moi aussi. Je l'avais pas remarqué avant.

- Tu m'étonnes.

- Faut dire que là elle avait quand même un bandeau sur l'oeil quoi.

- T'es vache, c'était un pansement.

- Ouais bref, toujours est-il qu'elle avait de l'allure. Entrée impressionante. J'avais pas prévu de la séduire à ce moment-là.

- On avait pas prévu de la séduire à ce moment-là. Moi perso j'étais contre.

- Et puis est venu le soir, THE night quoi. Elle avait toujours son pansement et moi j'avais une bière à la main.

- Essaie pas de mettre ça sur le dos de l'alcool, y avait attirance c'est tout.

- Non non mais je ne remets rien en question hein, j'avais envie j'avoue.

- Safado.

- Ouais bon, tu te calmes la bonne conscience là. Enfin, elle était venue danser avec moi, je pouvais pas prévoir qu'elle me kiffait quoi.

- « Je pouvais pas prévoir... », non mais l'autre. Hé ça va hein, Brad Pitt, on se calme. Donc là elle m'a abordé et moi j'ai pas dit non.

- J'ai pas dit non, j'ai pas dit non parce que je pensais que j'allais la déglinguer.

- Sois pas vulgaire comme ça.

- Oui enfin moi j'avais quand même prévu de me faire plaisir et puis elle a fait sa prude quoi.

- T'as surtout fait le con, tu dis pas à une fille qui te demande si tu vas la larguer le lendemain « ça dépend ». C'est pas hyper gentleman.

- M'en fous je suis pas un gentleman, t'as cru que j'allais l'épouser ou quoi.

- Moi non, mais elle oui.

- Ouais toujours est-il que chez Jonas moi je me doutais de rien.

- Arrête, tu te doutais de rien, tu l'as évité tout l'après-midi.

- Je te signale que toi aussi tu l'as évité tout l'après-midi.

- Oui je te ferais remarquer que nous sommes la même personne.

- Oh, me soule pas, c'est déjà chiant de partager co-habiter avec toi en permanence.

- Moi je ne voulais pas spécialement l'éviter, mais t'étais tellement en manque que j'ai fait ça par charité.

- Mais oui, c'est ça. Si t'avais pas été aussi gentil on se serait jamais fait embarqué dans un traquenard comme ça. Donc là elle me coince et elle me demande pourquoi je l'embrasse pas.

- Hahaha, le con.

- Non mais je lui réponds quoi moi?

- Toi t'as rien dit, c'est moi qu'ai du prétexter que j'étais gêné en public.

- C'est vrai remarque que t'aimes pas quand on embrasse quelqu'un et qu'il y a du monde.

- Change pas de sujet, toi.

- C'est là qu'elle m'emmène dans la chambre.

- Hahaha, ce que j'ai pu me marrer à ce moment là. T'aurais vu ta tête.

- J'ai la même tête que toi ducon.

- Je me souviens que j'ai vu Lucas qui se marrait bien dans le coin.

- Il m'a même pas sorti de la merde ce connard. J'étais dans la chambre, elle me parlait de ses parents et de comme j'étais génial...

- De comme ON était génial tu veux dire.

- Et Lucas il est juste monté pour admirer le spectacle.

- Tu voulais qu'il fasse quoi? On s'est foutu dans la merde tout seul.

- N'empêche que moi j'avais pas envie d'aller manger chez ses parents!

- Oui bah c'est ton problème, t'avais qu'à pas réfléchir avec ta bite.

- Fais pas le coincé, avoue que toi aussi t'as kiffé quand on l'a ramené chez nous.

- Me prends pas par les sentiments. Moi je l'aimais bien, j'avais envie de discuter avec elle.

- Oui bah moi j'avais surtout envie qu'elle se taise et qu'elle me laisse tranquille.

- Attends, t'as pas trouvé ça trop touchant qu'elle te dise toutes ces gentillesses pendant l'amour?

- T'es vraiment un romantique, c'est dégueulasse.

- Faut bien qu'il y en ait un pour rattrapper tes conneries de safado. N'empêche que je me suis bien marré quand j'ai vu qu'elle était à fond sur toi et que ça te faisait flipper. Le mec, il se la joue grand séducteur, « one night one shot », et il se retrouve avec une fille qui le colle. C'est une belle morale quand même.

- Perso, je trouve pas. C'est nous la victime dans l'histoire.

- Exactement! Moi je suis victime de tes conneries, oui.

- Tu me prends jamais au sérieux de toute façon.

- Pauvre con.

- Toi-même.

J'en déduis que c'est ce qui s'est passé dans la tête de mon cher collègue durant cet épisode. Alala, sacré Jack. Pour un fond musical adapté à sa belle histoire d'amour :

Você me apareceu - Kaléidoscopo

Ela é carioca - João Gilberto

J'ai retrouvé le vrai Rio


                  Aujourd'hui j'ai retrouvé le Rio que j'aimais celui qui me fait sentir homme accompli. Avec mon éternel compagnon de vadrouille Lucas, nous avons senti le pouls de la ville. Nous avons parcouru les artères de la cité. Rio a dévoilé son cœur , je lui est ouvert le mien en retour.
Depuis quelques semaines j'étais tombé dans une lassitude profonde. Je jonglais entre débauches répétitives , trajets ennuyeux et rythme scolaire agencé. Il me manquait autre chose. Il y avait bien mes lectures et mes films mais ça ne comblait pas le vide de la curiosité. La découverte s'était arrêté, je ne me sentais pas bien , je suffoquais de trop peu savoir.
Aujourd'hui c'était la fin de cette période sans intérêt. Débarqué dans une station ferroviaire poussiéreuse coincée entre un échangeur routier et la mer j'ai senti du nouveau. J'avais enfin quitté l'apparat et le surfait de la zone sud. En quelques secondes je m'imprégnais d'une atmosphère aux antipodes des façades maquillées des femmes et des immeubles à grand succès. Ouf ! Je sortais de ce monde pathétique de l'apparence et du bling-bling.
Pendant que j'attendais Lucas, quelques minutes m'ont suffit pour comprendre que c'était ce Rio , celui des premiers jours , celui qui me faisait vibrer , me sentir homme à la merci des émotions qui m'entourait . Ces rues , ces monuments , ces buildings , ce va-et-vient continu d'individus en costume ou en haillons qui me faisait sentir quelconque au milieu de cette gigantesque marmite sociale .Une déflagration d'émotions au milieu du brouhaha des bus , des gens , du monde!
Les visites gratuites , et c'est important , de la « casa França-Brasil » , du « centro cultural banco do Brasil » et de l'Eglise da Candelaria m'ont confortées dans l'idée que la ville bouillonne. Tous ces lieux de culture portent la marque carioca , la marque brésilienne , ce sont des colosses aux pieds d'argile. La puissance de la faiblesse.
Parcourir les rues fourmillantes du centre-ville et des quartiers délaissés , délabrés de Gloria et Catete m'a fait comprendre que j'aimais cette ville parce qu'elle se dévoilait différemment à chaque coin de rue, mais elle se dévoilait toujours sincèrement.
Il y a deux Rio , l'aseptisé , le fade , celui des cartes postales; et l'authentique , le décrépi , l'humain.
C'est une leçon d'humanité que j'ai reçu aujourd'hui et ça fait du bien.



Herbie Hancock- Tempo de Amor                          Atmosphere - To all my friends