lundi 18 octobre 2010

Favela rising


Mon pote, l'article sur Lapa attendra.


Je viens de finir le livre d'une de mes profs qui s'intitule « Gringo no Laje ». Le laje est la partie plate qui sert de toit aux maisons des favelas, ou plutôt aux constructions qui servent de maison. C'est un véritable espace de vie, et les tours dans les favelas s'y finissent généralement pour qu'on puisse admirer la vue.
J'ai l'impression de ne parler que de ça mais les « communautés » comme il faut les appeler ici (ce n'est pas du politiquement correct mais les habitants des favelas, les « moradores » les appellent comme ça, et à raison) me fascinent. Je suis arrivé au Brésil avec une conception toute faite du tourisme dans les favelas : du voyeurisme pour des abrutis qui restent bien derrière leurs vitres teintées à prendre des photos comme si ils étaient au zoo. Mon idée était de ne pas rentrer dans une favela si je n'avais pas une bonne raison pour le faire. Le fait de donner des cours de théâtre avec une ONG m'a donc fait voir de plus près ce que c'était, même si ça reste du tourisme solidaire, bref, moralement condamnable, je me donne une bonne conscience, tout ça. On m'avait dit que l'entrée dans une favela provoquait un choc ; la favela dans laquelle nous donnons des cours avec Laurent, qui s'appelle Vidigal, est une favela de la zone sud, juste derrière le quartier le plus riche de Rio (Leblon), et c'est celle qu'on voit sur les photos de la plage d'Ipanema, elle est au fond. De là-bas la vue est tout simplement magnifique. Elle est plutôt paisible en fait, il y a eu une guerre de gangs assez sanglante il y a un an mais depuis elle s'est calmée. Elle ne fait pas (encore) partie de ces favelas qui ont été prises par la police (les UPP), elle reste donc aux mains des trafiquants. Bref, je n'ai pas réellement eu de choc, je n'ai pas pleuré devant la pauvreté comme le mettent en avant -selon moi- les tours des agences. J'ai bien vu des mecs avec des armes tellement grandes qu'on aurait dit des jouets, mais l'impression que j'ai eu est que j'étais dans une autre ville ou pays, une ville à part entière, qui fonctionnait toute seule -magasins, dentistes, école- et qui était complètement hors de Rio, non-intégrée. C'est là que le terme de « communauté » prend tout son sens. En parlant avec des habitants, ils m'ont tous dits que c'était leur communauté, que jamais ils ne s'en iraient, que c'était chez eux. Pour imager un peu les choses : on arrive en bas de la favela, et tout de suite des 'moto-taxis' nous sautent dessus pour nous emmener en haut. Le voyage est plutôt sympa, pas trop rapide à cause des ralentisseurs (oui, il y a des ralentisseurs) et plutôt sinueux. Personne ne vous remarque ou ne s'étonne de votre présence. On arrive en haut, dans une sorte de stade où tous les enfants se réunissent pour jouer au foot ou lancer leurs cerfs-volants. Les cours se passent super biens, ils sont très agités mais aussi super motivés - ce sera pour un autre post. On redescend en général à pied, où l'ont peut d'avantage faire attention à tous les commerces, et au fait que tout le monde vit dans la rue, les maisons sont toujours ouvertes. Et on se sent en sécurité en fait, tu te dis vraiment qu'il y a beaucoup plus de chances de te faire voler à Copacabana qu'ici.
Pour revenir au livre, j'avais donc cette impression sur les tours dans les favelas. Le livre met en avant à la fois les raisons qui font venir le touriste, et ce qu'en pensent les habitants. Mon impression est toujours la même : les touristes affirment qu'ils viennent là pour sortir des sentiers battus, pour voir le vrai Rio, etc. Pour moi, c'est de l'hypocrisie, ils viennent pour voir ce que c'est qu'un pauvre, pour voir la violence, et ils seraient même bien contents de raconter qu'un échange de tirs s'est fait devant leurs yeux. Ils viennent pour se sentir mal – et, à terme, se dire qu'on a de la chance de pas être comme ça quand même. Bien sûr c'est une généralisation, tous ne sont pas comme ça, sûrement pas beaucoup même, mais c'est ce que m'inspire l'idée d'un "tour". C'est aussi amusant de voir comme ils pensent que leur venue va aider la communauté parce qu'ils ont acheté un coca dans ce bar, ou parce qu'ils pensent que l'agence donne de l'argent à la communauté. Ce n'est que très rarement le cas, et la majorité des moradores pensent même que le tour est gratuit, ou peu cher, ce qui prouve bien qu'ils ne voient pas la couleur des billets verts.
Ce qui est intéressant c'est d'avoir le point de vue des moradores : la présence des touristes ne les dérange pas (83% pensent que la présence des touristes est positive!), ils sont même contents de les voir, puisque cela met en avant le caractère spécial de leur communauté. Toutefois, tous affirment que s'ils faisaient visiter leur favela, ils montreraient ce qui y est fait de bien : les ONGs, les centres culturels... et pas ce qu'il y a de plus pauvre. Or, l'étude montre bien que c'est ce que sont venus voir les touristes, que c'est ce qu'ils prennent en photo. Ils viennent voir l'authentique, ils prennent en photo des poubelles, ou des intérieurs de maison. Je me rappelle d'un commentaire de Zelda qui disait, étonnée, « Mais ce ne sont pas des bidonvilles, tout est vraiment bien construit ». Les moradores veulent justement montrer que leur favela ce n'est pas ce qui est montré dans les journaux, ce n'est pas que la violence, ce n'est pas que la pauvreté. En ce sens, c'est positif, car les touristes, en visitant une favela, notent que ce n'est pas que « ça ». Quand ils en parleront, ils transmettront cette idée qui permettra de casser un peu le cliché. Mais de là à parler d'authentique, je ne sais pas, et d'ailleurs aucun brésilien ne fait les tours organisés par les agences.
Pour moi, le problème posé par ces tours relève de la définition même de la favela : est-ce un problème ou du patrimoine national? La naissance des favelas vient du fait qu'il était trop cher de louer des habitations près du centre ouvrier pour les gens pauvres, qui sont donc montés sur les montagnes où les riches ne voulaient pas aller. C'est donc un problème, la présence des trafiquants aussi est un problème. C'est un problème qui devrait être résolu, et non pas valorisé. Mais le dilemme reste présent parce que la culture qui rejaillit de ces communautés est exceptionnelle, le sentiment d'appartenance est quelque chose de beau, finalement. Les tours mettent en avant la culture locale, ce monde qui a été marginalisé et qui construit son identité propre. Or, le fait de développer ce genre de tours ne va pas dans le sens, à terme, d'une disparition des favelas puisqu'elle met en avant la culture d'ici et se fait du fric dessus. Ce n'est pas dans son intérêt que les favelas disparaissent.
La définition de la favela est devenue trop large, entre pauvreté, communauté, délinquance et culture marginale, pour que j'arrive à juger si les tours sont quelque chose de positif ou non. Au final, les touristes n'apportent rien de mauvais. J'aimerais simplement savoir quelle est la définition de la favela telle que conçue par les guides de tourisme, car ça m'étonnerait qu'on ait la même.
Supers musiques de deux chanteurs des 60's qui parlent de favela :

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